Confrontés à une hausse de leurs dépenses de fonctionnement liée à l'envolée des prix de l'énergie ou à la hausse du point d’indice, alors que leurs recettes n'augmentent pas suffisamment (perte du levier sur la TH depuis le 1er janvier 2021), les EPCI devraient subir un effet de ciseaux en 2024. Pour rappel, la perte pour les communes est estimée aux environs de 15,3 milliards d’euros (Md €) de taxe d’habitation et jusqu’à 7,5Md€ pour les EPCI. La crise immobilière de 2023 va se poursuivre en 2024, en réduisant encore les recettes tirées des droits de mutation. Dans ce contexte, la taxe d’enlèvement des ordures ménagères1 (TEOM) présente un levier pour les collectivités à condition de pouvoir y intégrer certaines dépenses. Considérant les nombreuses évolutions depuis ces deux dernières années, un coup de projecteur sur cette taxe s’impose, notamment s’agissant des questions relatives à la détermination du taux. Si le contexte jurisprudentiel apparait favorable à l’établissement d’un taux de TEOM excédentaire (I.), il faut toutefois veiller à utiliser ce mécanisme permettant de dégager des marges de manœuvres fiscales avec agilité et établir une stratégie (II.).
I. La pratique désormais autorisée du taux de TEOM excédentaire
La prohibition initiale de tout excédent...
En application du plan national de prévention de la production de déchets, renforcé par la loi Économie circulaire de février 20202, le gouvernement vise à réduire à l’horizon 2030 le volume d’ordures ménagères produit par habitant en France à 501 kg.
La Cour des comptes constate que cet objectif ne pourra être atteint sans une accélération forte de cette tendance3. Au titre des pistes de réflexion, elle met en avant l’efficacité de différents mécanismes fiscaux, dont notamment la TEOM.
En 2014, le Conseil d’État considère, dans sa décision Société Auchan4, que cette taxe n’a « pas le caractère d'un prélèvement opéré sur les contribuables en vue de pourvoir à l'ensemble des dépenses budgétaires mais a exclusivement pour objet de couvrir les dépenses exposées ». Dès lors, « le produit de cette taxe et, par voie de conséquence, son taux, ne doivent pas être manifestement disproportionnés par rapport au montant de ces dépenses, tel qu'il peut être estimé à la date du vote de la délibération fixant ce taux ».
En application de cette jurisprudence, relevant en l’espèce qu’un excédent de 2,5 % constituait une erreur manifeste d’appréciation, les collectivités devaient voter un taux de TEOM à l’équilibre avec le coût du service. Cette analyse contraignait fortement l’augmentation des taux de TEOM. Elle faisait supporter un risque d’annulation des délibérations portant sur le vote des taux.
... Mais un excédent dorénavant autorisé jusqu’à 15 %
En 2021, Le Conseil d’État a fait évoluer sa jurisprudence pour admettre qu’un taux de TEOM excédentaire, en l’occurrence de presque 15 %, est proportionné5.
Cette ouverture reste toutefois pragmatique, un excédent de plus de 59 % a logiquement été considéré manifestement disproportionné6.
Par ailleurs, une instruction du 15 mars 2022 de la DGFiP à destination des préfets et directeurs départementaux des finances publiques, relative au contrôle de légalité en matière de TEOM s’inscrit dans cette logique, indiquant un seuil maximum de proportion à hauteur de 15 %. La doctrine fiscale reprenant elle aussi cette limite de 15 %7.
Le Conseil d’État est venu confirmer cette tendance initiée depuis 2021. Il reconnait par une décision d’avril 20238, mentionnée aux tables, qu’un taux excédentaire de 13,84 % n’est pas disproportionné.
Si cette décision peut être considérée comme d’espèce sur ce point, il n’en demeure pas moins qu’elle permet d’asseoir un peu plus une pratique qui ouvre quelques marges de manœuvre pour financer la gestion des déchets et de ses dépenses connexes. Enfin, si aucun seuil maximum n’est déterminé, il semblerait cependant que le repère de 15 % constitue actuellement une limite proportionnée à ne pas dépasser.
II. La TEOM, une stratégie pour développer des marges de manœuvre fiscales
Dépenses comprises et définition du déchet ménager
Pour déterminer le produit de la TEOM, et in fine, un éventuel excédent, il appartient de connaître les dépenses couvertes par la TEOM. Ainsi, sont comprises :
•les dépenses de fonctionnement réelles exposées pour le service de collecte de déchets ménagers et assimilés. Peuvent intégrer cette catégorie, les coûts de directions ou services transversaux de la collectivité directement exposés pour le service public8 ou les charges exceptionnelles de fonctionnement lorsqu’elles n’ont pas le caractère de dépenses d’ordre9 ;
•les dépenses non couvertes par la redevance spéciale ou d’autres recettes non fiscales10.
Plus récemment, par un arrêt du 18 septembre 202311, la haute juridiction administrative est venue clarifier la définition du déchet ménager12 comme étant « tout bien ayant la nature d'un déchet habituellement produit par les ménages, que ce soit au sein ou hors du foyer. »
Ainsi posée, la vision extensive du Conseil d’Etat sur la définition du déchet ménager « par nature » pourrait également permettre aux collectivités d’inclure les dépenses liées à la collecte et au traitement des déchets et immondices jetés sur la voie publique.
Réévaluer et contrôler ce levier fiscal
S’il ressort des éléments précédents que le taux de TEOM peut être dans une certaine mesure excédentaire en intégrant les dépenses autorisées, encore faut-il régulièrement identifier ces dépenses.
Le Conseil d’État a considéré qu’une comptabilité analytique permet d’identifier avec précision ces dépenses au moyen notamment de l’utilisation de clés de répartition13.
Par ailleurs, dans un contexte de financement des collectivités locales jugé « à bout de souffle14 », la question de la capacité des communes et EPCI à dégager des marges de manœuvre fiscales est essentielle.
La TEOM est une taxe facultative, dont l’assiette repose, comme la taxe foncière sur les propriétés bâties et sur la propriété immobilière. Son montant ne dépend pas du service rendu à l’usager, ce qui permet d’assujettir des propriétés qui ne produisent pas de déchets ménagers au sens des dispositions du CGCT, ou qui n’utilisent pas ce service. Cet enjeu est central dans les communes touristiques.
La conséquence pratique de cette rétrospective de la vision du Conseil d’Etat doit alors intéresser les collectivités dans les coûts à prendre en considération dans la collecte et le traitement des déchets et ainsi réviser le taux de TEOM ou bien constituer une piste de réflexion dans sa mise en œuvre.
Quelques précisions
1 : Article 1520 du CGI
2 : Loi n° 2020-105 du 10 février 2020 relative à la lutte contre le gaspillage et à l'économie circulaire ayant fait évoluer l’art. L.541-1 du code de l'environnement
3 : Rapport de septembre 2022 intitulé « Prévention, collecte et traitement des déchets ménagers : une ambition à concrétiser »
4 : Conseil d'État, 31 mars 2014, Société Auchan, n° 368111 - Mentionné aux tables du recueil Lebon
5 : Conseil d'État, 8ème Ch., 5 mai 2021, n° 438897
6 : CAA Nancy, 3 février 2022, n° 21NC00281
7 : BOFIP n° BOI-IF-AUT-90-30-10
8 : Conseil d'État, 14 avril 2023, n° 465403 - Société OPPCI Sogecapimmo - Mentionné aux tables du recueil Lebon
9 : Conseil d'État, 22 octobre 2021, Métropole de Lyon, n° 434900 – Publié au recueil Lebon
10 : Conseil d'État, 29 novembre 2021, Métropole de Lyon, n° 454684
11 : Conseil d’État, 18 septembre 2023, n° 466461
12 : Article R.541-8 C. de l’environnement et art. R.2224-23 du CGCT
13 : Conseil d'État, 30 septembre 2022, Sté Euro Dépôt Immobilier, n° 455364 – Mentionné aux tables du recueil Lebon
14 : Rapport de la Cour des comptes d’octobre 2022 relatif au financement des collectivités territoriales
Abréviations
TH : taxe d’habitation
TEOM : taxe d’enlèvement des ordures ménagères
CGCT : code général des collectivités territoriales
DGFiP : Direction Générale des Finances Publiques
EPCI : établissement public de coopération intercommunal